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  • Texte & interviews : Guillaume Alvarez
  • Photos: www.cikfia.com / KSP

Quelques jours après son sacre de South Garda, au coeur de la Lombardie italienne, la pression est retombée d’un cran chez Emilien Denner, bien que la portée de son exploit face à 126 des meilleurs pilotes du monde de la catégorie KZ2 semble encore résonner dans un coin de sa tête. C’est donc serein qu’il dresse le bilan d’un week-end assez fou où tout s’est enchainé à 100 à l’heure, un peu à l’image de son ascension en karting.

« J’ai encore du mal à le croire totalement, » déclare-t-il. « Le week-end s’est passé à merveille même si la pression était là. C’était la course de l’année et vu qu’on avait été très compétitifs durant toute la saison, on se devait de la gagner. Ca avait bien commencé avec la pole position puis la confiance s’est installée au fur et à mesure que je gagnais mes manches. Mais le plus dur restait à faire en Finale où tout pouvait arriver, surtout qu’on annonçait un risque de pluie. »

« En fait, on n’était pas aussi à l’aise en Finale que dans les manches à cause d’une petite erreur de set-up, » avoue-t-il. « On avait changé le rapport de pignon et j’étais en bas régime-moteur dans la plupart des virages, ce qui fait que le kart avait tendance à glisser et j’avais moins de relance en sortie. »

Un handicap qui ne l’a pas empêché de maîtriser son sujet dans la course la plus importante de l’année malgré une forte opposition dès l’entame des 25 tours de Finale. « J’ai pris un bon départ et mon premier tour s’est tout aussi bien passé. Ensuite, Emil [Skaras, ndlr.] m’a passé mais, heureusement, je pu le redoubler, sans quoi la course aurait sans doute été toute autre. Une fois devant, je suis parvenu à garder mes adversaires à distance, d’abord Tormen puis Vidalès qui était très rapide en fin de course mais trop loin pour pouvoir m’attaquer. Après tout le travail qu’on a fait cette saison, aller chercher une victoire pareille, c’est quelque chose de très spécial. »

« Spécial », « stratosphérique », « extra-terrestre », « hallucinant » : les superlatifs manquent à Eric Denner pour qualifier la performance signée par son fils. Les 25 tours de cette Finale KZ2 ont dû lui paraître une éternité, les yeux rivés sur ce kart n°102 aux couleurs Sodikart / CPB Sport faire la course en tête devant une meute furieuse de 33 finalises attentifs au moindre faux-pas. Puis vint la délivrance lorsque son rejeton salua le drapeau à damier, l’index levé vers le ciel comme pour remercier les Dieux de la course pour ce cadeau tant attendu.

« Sa victoire a relâché beaucoup de pression qu’on avait sur les épaules », confie Eric. « Il n’y a presque pas de mots pour décrire ça ! Quand on sait tous les sacrifices et les difficultés traversés pour en arriver là, accomplir une telle performance, c’est juste du rêve à l’état pur. On a d’ailleurs eu la bonne surprise d’être accueilli dans notre village par 200 personnes rassemblées devant la Mairie. Ca klaxonnait dans tous les sens, c’était hallucinant ! »

DENNER EMILIEN, KZ2, F, SODI / TM RACING / BRIDGESTONE, CPB SPORT, FIA Karting World Championship – KZ/KZ2/Academy Trophy, LONATO, International Race, © KSP Reportages

Du basket à la piste

Si Emilien est celui qui attire logiquement les regards, son éclosion aussi fulgurante que précoce sur la scène internationale est aussi en partie due à son père oeuvrant dans l’ombre. A la fois protecteur et confident mais aussi manager, conseiller et premier allié, Eric Denner ne compte par les heures de travail pour permettre à son fils de réaliser son rêve. Issu d’une famille baignant dans l’automobile, ce Strasbourgeois gravit les échelons de l’entreprenariat en se spécialisant début des années 2000 dans la confection de pièces pour l’aéronautique. Passionné de F1, il transmet très tôt son amour de la Scuderia Ferrari à son fils qui, dès cinq ans, chante les louanges de Michael Schumacher le dimanche devant la télévision.

En 2015, Eric Denner décide toutefois de se réinventer en reprenant la gestion d’une piste de karting située en Allemagne, à une heure de route de leur domicile de Strasbourg. « J’ai décidé de reprendre ce circuit où l’on pratiquait à la fois la location et la compétition, » explique-t-il. « Emilien avait 13 ans à l’époque mais il était totalement désintéressé par les sports moteurs. Sa vraie obsession, c’était le basket qu’il faisait depuis l’âge de cinq ans. C’était comme ça dans le village où l’on habitait : soit tu faisais du foot, soit du basket. Et il a opté pour la deuxième option jusqu’à évoluer dans le championnat de France. Il était suffisamment performant pour être sélectionné parmi un programme de détection avant d’entamer un cursus sport-études. »

« Au même moment, je reprends donc ce circuit de kart pour poursuivre son développement. Les clients affluaient et tout allait bien. En août 2016, Emilien était en vacances scolaires et, comme beaucoup d’ados de son âge, passait ses journées enfermé dans sa chambre à jouer aux jeux vidéo. De mon côté, je travaillais sept jours sur sept, du matin au soir, et voir Emilien ne rien faire, ça nous a énervés. On a donc décidé avec ma femme qu’il irait désormais travailler tous les jours avec moi sur la piste. Forcément, il a pas du tout apprécié mais il n’avait pas beaucoup le choix. »

« Au début, la motivation n’y était pas vraiment, » poursuit Eric. « Il faisait toutes sortes de petites tâches et, chaque soir, j’essayais de l’encourager à faire des tours mais pas moyen. Ca a duré ainsi pendant trois semaines. Puis, à la fin du mois d’août, un jeune Allemand est venu accompagné de son père. Lui et Emilien ont sympathisé et il m’a demandé s’ils pouvaient faire quelques tours ensemble. Et là, ce fut la révélation ! Je n’avais encore jamais vu ça. Dès ses premiers tours, il avait tout compris : la synchronisation des pédales, le coup de volant, la finesse des trajectoires… alors qu’il n’avait jamais roulé ! »

DENNER EMILIEN, KZ2, F, SODI / TM RACING / BRIDGESTONE, CPB SPORT, FIA Karting World Championship – KZ/KZ2/Academy Trophy, LONATO, International Race, © KSP Reportages

Fini le ballon, place à la compétition !

« Le jour même, il me dit qu’il veut laisser tomber le basket et faire du karting. J’ai accepté, à la condition qu’il poursuive son cursus en sport-études avec la possibilité de rouler le mercredi après-midi et les week-ends. Je lui ai confectionné un Rotax MAX qu’il a usé pendant trois semaines et il a battu le record du tour du circuit qui tenait depuis des années ! C’est là que j’ai pris conscience qu’Emilien avait un vrai talent naturel et j’ai pris la décision de lui dédier toutes mes compétences et mon énergie. Autant dire que la décision n’est pas super bien passée auprès de mon épouse et de la famille. Il y avait aussi le problème de l’argent mais ça ne m’a pas arrêté. Je préfère mourir avec des regrets qu’avec des remords. »

« Après le Rotax, Emilien ne voulait faire qu’une chose : du KZ. J’ai essayé de le convaincre de passer d’abord par les bases avec un kart normal, sans boîte de vitesses. Parce que tourner seul sur un circuit, c’est une chose, mais gérer toutes les contraintes physiques, mentales, stratégiques et techniques d’une course en peloton face à des adversaires, c’en est une autre ! Mais rien n’y a fait, il voulait faire du KZ. »

Tout commence en mars 2017 lorsqu’Emilien fait ses débuts en KZ2 dans la compétition allemande ACV Kart Nationals, l’équivalent d’une deuxième division derrière le championnat national DKM. Une entrée en matière réussie puisqu’il termine l’année en meilleur « rookie » avec le titre de vice-champion à seulement 15 ans. « Je l’avais prévenu qu’il allait affronter des pilotes non-seulement plus âgés mais surtout beaucoup plus expérimentés, » se souvient Eric. « Même s’il se prenait deux secondes au tour, il allait devoir serrer les dents et aller jusqu’au bout de la saison. Puis tout s’est enchaîné. Son titre a attiré l’attention de beaucoup et notamment de CRG qui lui a propose un contrat de pilote payant avec une motorisation TM et un châssis Kali kart pour 2018. »

Les débuts sur la scène internationale

Au volant de sa nouvelle arme, le CRG / Kali Kart / TM, Emilien ne perd pas de temps et s’impose à la deuxième manche KZ2 du Championnat d’Europe FIA Karting, à Lonato, qu’il termine sur la troisième marche du podium. Deuxième de la WSK Final Cup italienne, il domine également le Championnat d’Allemagne (catégorie DSKC) avec sept victoires sur dix.

Une première saison à l’internationale qui décide le Français Paul Bizalion, patron du team CPB Sport en partenariat avec l’usine Sodikart, de l’enrôler pour 2019. Au sein de cette structure professionnelle abonnée au succès, le Strasbourgeois poursuit sur sa lancée tout en franchissant un nouveau palier. « Cette année se passerait presque de commentaires : 17 courses, 12 podiums dont six victoires et huit meilleurs tours en Finale, » se réjouit Eric. « Et il gagne la dernière manche du Championnat d’Europe à Sarno, termine Vice-Champion puis remporte le Mondial KZ2 à Lonato. »

« J’ai discuté avec plusieurs patrons d’écuries qui m’avouent ne pas pouvoir expliquer comment un pilote aussi jeune qu’Emilien, qui n’a même pas trois saisons d’expérience, parvienne à un tel niveau si rapidement », explique Eric. « Sans passer par les bases d’une classe baby, junior ou OK, il a une faculté d’adaptation et une rapidité qui laissent tout le monde pantois. C’est presque extra-terrestre. »

DENNER EMILIEN, KZ2, F, SODI / TM RACING / BRIDGESTONE, CPB SPORT, FIA Karting World Championship-KZ/KZ2/Academy Trophy, LONATO, International Race, © KSP Reportages

Quid de la suite ?

Au vu d’une telle rapidité d’ascension et de ses aptitudes, se pose naturellement la question de quelle sera l’étape suivante ? « Avant le mondial, j’avais déjà des propositions d’un peu partout mais maintenant c’est encore pire ! », rigole Emilien. « J’ai de l’intérêt du monde de la monoplace, du GT, et aussi en kart. On n’est pas dans un rush de décision mais l’objectif reste d’aller en monoplace, sans doute plus du côté de l’Allemagne et de l’Italie parce que c’est là que je peux apprendre le mieux. »

S’il se murmure que des tests en monoplace pourraient voir le jour, le natif de Strasbourg n’en serait pas à son coup d’essai. Courant 2018, il avait déjà eu l’occasion de s’installer dans le baquet d’une F4 du Van Amersfoort Racing, la structure qui fit courir, entre autres, Max Verstappen en F3 européenne. « Les tests s’étaient déroulés à Spa-Francorchamps et au Nürburgring, raconte Eric. « D’emblée, le niveau de performance a été exceptionnel. Après plusieurs sessions, il était déjà à quelques dixièmes du temps-référence du team, si bien qu’ils voulaient lui proposer un contrat mais c’était un peu prématuré parce je n’avais pas encore les partenaires nécessaires à l’époque. »

Mais ça, c’était avant. « C’est vrai que gagner ce titre en KZ2 a vraiment accéléré les choses autour d’Emilien et décuplé les demandes, » confirme Eric. « Il a beaucoup plus de sollicitations de la part des médias, de personnalités locales, etc. C’est le bon côté de ce genre de victoire mais le plus important est que les investisseurs et sponsors de manifestent tout autant. Parce qu’avec un titre pareil, plus besoin de prouver davantage. »

« L’objectif ultime reste la Formule 1. A ce stade, c’est un peu prématuré d’en dire plus mais on est en contact avec plusieurs structures impliquées en F3 et F2 dont les connexions vont très loin. On va prendre notre temps pour bien analyser toutes ces options afin de prendre la meilleure décision… »

D’ici là, le champion en herbe ne compte pas pour autant se tourner les pouces. « Je serai encore en piste pour les dernières compétitions de la saison WSK [Open Cup et Final Cup, ndlr.], aussi à un Trophée à Lonato et à la dernière manche du DKM puis encore les SKUSA SuperNationals à Las Vegas, une première pour moi. J’irai là-bas avant tout pour mon plaisir mais aussi avec l’envie de gagner. Même si tout ça, c’est un peu du bonus », conclut Emilien.

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